Métasurfaces et métamatériaux
Membres permanents
– Sébastien Bidault
– Mathias Fink (OMC)
– Samuel Grésillon
– Fabrice Lemoult
– Geoffroy Lerosey
– Abdel Ourir
– Julien de Rosny (NCIS)
– Arnaud Tourin (OMC)
– Yannick De Wilde
Résumé
Les métasurfaces et métamatériaux sont généralement considérés comme des arrangements 2D et 3D de résonateurs sub-𝜆 , ordonnés ou désordonnés, exploitant à la fois les propriétés individuelles des résonateurs mais aussi des processus collectifs permettant de manipuler les ondes de manière macroscopique (par exemple par une ingénierie des relations de dispersion) ou locale (phénomènes de focalisation, de localisation ou de guidage des ondes). Nous nous intéressons au développement de métasurfaces et de métamatériaux sur une large gamme de fréquences allant de quelques centaines de Hz au MHz en acoustique, à quelques GHz en micro-ondes et jusqu’à quelques dizaines ou centaines de THz en optique visible et infrarouge.
Métamatériaux aux fréquences micro-ondes : cônes de Dirac et isolants topologiques
Habituellement, les métamatériaux sont considérés comme des milieux artificiels structurés à une échelle sub-𝜆 dont la réponse moyenne des cellules élémentaires confère une propriété macroscopique. Cependant, ces stratégies d’homogénéisation ne permettent pas de rendre compte de certaines propriétés macroscopiques. Pour mettre en évidence certaines d’entre elles, nous avons mené des expériences avec des ondes électromagnétiques dans la gamme des fréquences micro-ondes sur un milieu composé de fils conducteurs parallèles entre eux. En fabriquant des cellules unités qui comportent plusieurs sous-réseaux, il est possible de faire apparaître des repliements de bandes, à l’instar des cristaux photoniques, malgré le caractère très sub-𝜆 de nos milieux. On peut alors parler de métamatériaux cristallins. Ainsi, un réseau en nid d’abeille de fils identiques fait apparaître des cônes de Dirac aux points K de la zone de Brillouin [Yves et al., Phys. Rev. Lett 2018]. En outre, le fait de travailler à une échelle macroscopique permet d’avoir accès à des observables qui sont difficilement atteignables directement en physique du solide. Nous sommes ainsi capables de réaliser une cartographie complète de la phase de Berry au sein de la première zone de Brillouin. Ces cônes de Dirac étant des points de transition topologique, il advient de lever la dégénérescence afin de trouver des matériaux dont la phase topologique serait différente de celle du vide (ou de l’air) dite triviale. Une manière de lever la dégénérescence de Dirac est de considérer une super-cellule qui contient 6 résonateurs [Yves et al., Nat. Comm. 2017]. Suivant la manière de créer physiquement cette super-cellule, nous avons été capables de fabriquer un analogue classique d’un isolant topologique de type ℤ2 (figure ci-dessous).
Photographie d’une métasurface analogue classique d’un isolant topologique de type ℤ2 (gauche) et cartographie de ses modes de résonance (droite).
Métasurfaces et métamatériaux acoustiques : Métamatériaux actifs et réseaux de bulles
Nous conduisons des expériences similaires avec des ondes acoustiques scalaires. Les mêmes propriétés de métamatériaux cristallins y ont été démontrées [Yves et al., New J. Phys. 2017] [Yves et al., Sci. Rep. 2017]. L’un des avantages de l’acoustique réside dans sa versatilité expérimentale, et nous avons ainsi pu concevoir un métamatériau actif en ajoutant des boucles nonlinéaires à chacun des résonateurs. De cette manière une belle analogie avec l’onde cochléaire qui amplifie les faibles sons a pu être démontrée [Rupin et al., New J. Phys. 2019] (figure ci-dessous, gauche).
Une simple bulle d’air dans l’eau présente une forte résonance monopolaire à basse fréquence (dite résonance de Minnaert), ce qui en fait un excellent candidat pour la conception de métamatériaux acoustiques localement résonants. Un ensemble désordonné de bulles identiques dans l’eau présente ainsi une large bande interdite au-dessus de la fréquence de Minnaert, dite bande d’hybridation. Nous avons mené des travaux théoriques et numériques qui nous ont conduits à proposer deux stratégies pour obtenir un matériau doublement négatif en organisant les résonateurs de manière désordonnée ou ordonnée. La première consiste à considérer un ensemble aléatoire de paires de bulles (avec une distance fixe entre bulles dans chaque paire) ; on induit alors une résonance dipolaire statistiquement robuste, à la fréquence de laquelle apparaît une fenêtre de transparence dans la bande interdite. Cette fenêtre est associée à des valeurs négatives de la compressibilité et de la densité [Lanoy et al., Phys. Rev. B 2017] (figure ci-dessous, droite). La seconde stratégie consiste à disposer les bulles sur un réseau diamant. La bi-périodicité liée à la présence de deux bulles dans la cellule primitive est une autre façon d’introduire un mode dipolaire. Là encore, une branche négative apparaît dans la relation de dispersion [Lanoy et al., J. Appl. Phys. 2021] ; celle-ci peut être vue comme un équivalent de la branche optique observée dans les relations de dispersion des phonons des cristaux diatomiques.
Nous nous intéressons aussi à des méta-écrans consistant en des matrices visco-élastiques criblées d’inclusions gazeuses de taille sub-longueur d’onde. Lorsque la matrice est suffisamment molle, chaque inclusion présente une résonance basse-fréquence à l’instar d’une bulle d’air dans l’eau. Sous la condition de couplage critique, un méta-écran d’épaisseur sub-longueur d’onde peut alors se comporter comme un absorbeur très efficace d’ultrasons lorsqu’il est placé devant un réflecteur parfait. Nous avons bâti un modèle semi-analytique qui permet de prédire les coefficients de réflexion et de transmission d’un tel méta-écran en fonction de ses caractéristiques géométriques et rhéologiques et qui prend en compte l’influence de la température et de la pression statique sur ses performances [Thieury et al., J. Appl. Phys. 2020].
Photographie d’un métamatériau actif reproduisant le fonctionnement de la cochlée (gauche). Analyse théorique d’un métamatériau désordonné composé de paires de bulles présentant des valeurs négatives de la compressibilité et de la densité (droite).
Métamatériaux aux fréquences optiques
Les techniques de modulation du front d’onde dans des milieux désordonnés offrent de nombreuses possibilités pour contrôler spatialement la focalisation de la lumière. Nous avons démontré que ce contrôle de la lumière en champ lointain pouvait être associé avec la localisation sub-𝜆 du champ sur des métasurfaces plasmoniques désordonnées. Ces dernières présentent à la fois des points chauds et des modes plasmoniques délocalisés pouvant être contrôlés à l’aide d’un modulateur spatial de lumière. Nous avons démontré que le contrôle de la phase d’un laser impulsionnel sur une métasurface plasmonique désordonnée permet d’optimiser la luminescence à deux photons de deux ordres de grandeur à une position choisie [Roubaud et al., Nano Lett. 2020] (figure ci-dessous). Nous avons également développé une technique d’imagerie statistique de ces métasurfaces désordonnées pour mettre en évidence que le contrôle en champ lointain était possible sur toute la surface de l’échantillon et qu’il était d’autant plus efficace que la métasurface présentait un désordre structurel maximal [Roubaud et al., ACS Phot. 2021].
Si les métaux ne présentent plus de propriétés plasmoniques dans l’infrarouge moyen, des semiconducteurs fortement dopés (comme l’arséniure d’indium) peuvent présenter une partie réelle négative de leur permittivité comme les métaux à cette gamme de fréquence. Nous avons étudié des métamatériaux infrarouges composés de multicouches d’InAs dopées et non-dopées et présentant une relation de dispersion hyperbolique, à l’aide d’un microscope à rayonnement thermique de champ proche inventé au laboratoire (TRSTM, Thermal Radiation Scanning Tunneling Microscope). Nous avons pu observer la signature spectrale de plasmons de surface de « bulk », excités thermiquement, qui se propagent aux interfaces des couches dopées/non-dopées de l’hétérostructure. La résolution spatiale atteinte de 100 nm est 100 fois plus petite que la longueur d’onde de résonance autour de 10 μm. Cette résolution spatiale nous a permis d’observer la transition, en fonction de l’éloignement de l’hétérostructure, entre deux régimes où une homogénéisation du métamatériau serait valable ou erronée [Peragut et al., Optica 2017].
Principe du contrôle de front d’onde pour optimiser localement la luminescence non-linéaire émise par une métasurface désordonnée d’or (gauche) et démonstration expérimentale d’un gain d’un facteur 100 de luminescence non-linéaire après optimisation (droite).